Images à charge – La construction de la preuve par l’image

La construction de la preuve par l’image 4 juin au 30 août 2015, exposition présentée dans le cadre des 5 ans du BAL (6, Impasse de la Défense – 75018 Paris). Horaires d’ouverture : du mercredi au vendredi 12h-20h ; samedi 11h-20h ; dimanche 11h-19h. More info : www.le-bal.fr
Sont présentés onze cas, depuis l’invention de prises de vue «métriques » de scènes de crime au XIXe siècle, jusqu’à la reconstruction d’une attaque de drone au Pakistan en 2012. Pour chaque cas, un contributeur revient sur son contexte historique et géopolitique d’apparition, la finalité des images et leurs conditions de production. «Voir, c’est croire ». La capacité d’attestation de l’image, qui prévaut dans la perception commune, est d’autant plus avérée dans le champ légal. La photographie révèle, enregistre, valide, certifie. Et l’usage courant de photographies dans les tribunaux, qui suit de peu l’invention du médium, le démontre : le pouvoir de vérité de l’image est un instrument de conviction essentiel au service de la justice. En réalité, ce pouvoir de vérité a toujours été ardemment débattu, parfois légitimement contesté et souvent contredit. Comment les traces, les signes ou les symptômes d’un acte criminel peuvent-ils être découverts, compris et validés par l’image ? Comment des dispositifs de capture ou de présentation de l’image sont-ils conçus par les experts pour renforcer son caractère probatoire ? Le dispositif visuel permet d’ordonner le chaos du crime. A la violence infligée aux corps et à la matière, succèdent l’ordre et la rigueur de l’analyse scientifique. La scène du crime soigneusement quadrillée, les lois optiques, mathématiques ou de causalité peuvent s’exercer et produire des données chiffrées facilement transposables en plans, statistiques et schémas 3D. Les dessins de l’archéologue James Briscoe établissent le plan exact des fosses communes de Koreme, au Kurdistan irakien. Les images aériennes réalisées par les britanniques en 1945, permettent de dresser une carte précise du territoire palestinien, avant même la création de l’État d’Israël et les violences perpétrées contre les Bédouins. Les experts élaborent des dispositifs de captation, d’interprétation mais aussi des dispositifs de monstration de l’image. L’exemple le plus frappant reste la décision du juge Jackson, procureur au procès de Nuremberg, de placer au centre de la salle du tribunal l’écran destiné à montrer le film à charge sur les camps de concentration et d’éclairer les visages des prévenus nazis pour enregistrer leurs réactions face aux images de leurs crimes. Les paradoxes du dispositif. Bien réelle, la mise en œuvre par les experts de ces dispositifs d’images n’en demeure pas moins paradoxale. L’objectivité de l’image utilisée à des fins judiciaires n’est pas une donnée mais quelque chose qui s’élabore, se construit. Pour y parvenir, le dispositif doit faire disparaître la subjectivité de l’expert, atteindre un idéal de transparence de l’image, de neutralité du point de vue. La disparition de l’expert en tant qu’auteur, c’est à ce prix que l’image accède au statut de preuve. Le dispositif en quelque sorte certifie que l’image produite n’est pas une image compassionnelle ou de spectacle, mais un outil de connaissance. Les graduations qui bordent les images de Bertillon livrent la scène aux déductions mathématiques du juge ou des jurés. Le Livre de la destruction de Gaza adopte la forme d’un inventaire rigoureux des bâtiments détruits en 2009 après les attaques israéliennes. Autre paradoxe, l’image produite par les experts occulte souvent la dimension personnelle du crime et ce, alors que l’image a justement pour finalité d’identifier la victime des actes de violence et le coupable à l’origine de ces actes.
Ainsi, l’accumulation terrifiante des portraits des victimes de la Grande Terreur en ex-URSS, entre 1937 et 1938, ne concentre pas notre regard sur la tragédie vécue par chaque individu, chaque famille, mais révèle l’étendue du crime collectif d’État et démonte la mécanique aléatoire imparable des exécutions. Enfin, les images d’actes criminels se distinguent par le fait qu’elles transgressent un tabou, celui de la représentation de la mort. Leur finalité est de montrer sans critère esthétique, de témoigner sans critère moral. Les images de Bertillon ou celles de des fosses communes de Koreme se justifient par leur finalité démonstrative. Ces images qui paraissent « sans loi » existent pour que justice soit faite. Le dispositif n’est pourtant pas la garantie pour l’expert d’établir les faits de manière irréfutable. Se rapprocher de la vérité est un exercice complexe, périlleux, non exempt de calculs de probabilités et de marges d’erreur. L’expert ne capte souvent que des indices fragiles, un scénario hypothétique, des bribes de vérité. Et quand l’évidence du fait semble d’emblée inscrite dans l’image, encore faut-il la rendre irréfutable dans le long processus de la chose jugée. La validation ultime de l’image en tant que preuve incombe donc toujours au bout du compte au Verbe, à l’art rhétorique de la persuasion qui s’exerce dans l’enceinte du tribunal. Douter d’abord de l’image semble le plus sûr moyen de lui conférer in fine une autorité et de s’approcher de la vérité: « Si l’on écarte tout ce qui est impossible, alors l’improbable qui demeure doit être vrai. » (Erwin Panofky citant Sherlock Holmes, Trois essais sur le style, Paris, Gallimard, 1996.) Exposer et publier ces images implique de les déplacer de leur cadre habituel de perception. Nous avons tenté de comprendre comment, quand et par qui elles ont été produites, et de proposer une perspective critique sur leur statut – ni documents purs, ni images symboliques, ni preuves en soi. Pour l’enquêteur comme pour le spectateur, mettre en action une pensée en images, c’est déjà trouver une fenêtre de vérité. (Diane Dufour, commissaire)
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